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Poésie en verres libres

CLAIRE DEVARRIEUX 16 OCTOBRE 2003 À 01:24

CRITIQUE

Retour aux années 80, premier roman d’un traducteur néerlandais.

Est-ce le naturel avec lequel les personnages parlent de poésie, l’un partisan de «formes strictes et fixes», l’autre adepte du vers libre ? Est-ce une imperceptible étrangeté, due au fait que Paul Gellings, poète et traducteur, a traduit lui-même son premier roman ? Motel Belmonde a ce charme immédiat, quasi automatique, que donne la nostalgie de la jeunesse, et puis il y a autre chose, qui enracine ce texte dans un paysage différent.

«J’ai jadis connu deux frères que j’ai portés dans mon coeur.» Telle est la première phrase. Et la deuxième : «Roemer et Floris Duisterwinkel.» Sans doute le narrateur aura-t-il préféré Roemer à Floris. Ils sont morts, ils sont «des morts qu’on ne peut pas perdre de vue» et qu’il s’en va retrouver, un soir de septembre et d’anniversaire, au volant de sa voiture, jusqu’au motel perdu qui abritera sa rêverie.

Roemer est un héros de la fin des années 70 et du début des années 80, il porte le costume de son mariage et n’en change jamais, il vit d’une allocation pour artiste peintre, et se renfloue en retapant des ruines avec son frère. Roemer est diabétique. Quand il tombe dans le coma, il faut lui verser du jus de raisin dans le gosier, ou l’emmener à l’hôpital, mais ils commencent à en avoir assez, à l’hôpital.Il refuse de passer des tests.

Witte paarden = le titre de l’original néerlandais = “Chevaux Blancs”

Alcool, coma, alcool, gangrène, Roemer est aussi vivant que suicidaire. Il est le premier averti des nouveautés technologiques, il revend déjà son ordinateur quand personne n’en a. Il trafique, il invite, il crée des liens. Il change l’eau en kirsch. Il s’autodétruit, cependant que sa sollicitude protège. Typique de lui, une veille de départ en vacances : «Roemer nous servait sans arrêt du vin blanc et nous recommandait de faire très attention : nous arrêter toutes les deux heures et klaxonner avant chaque virage en montagne.» Moustaches, lunettes, voûté, Roemer n’est pas spécialement séduisant, ni diabolique, c’est juste que le narrateur se dit : «Si seulement Roemer pouvait être encore là.» Quand Roemer était là, ils buvaient, ils parlaient, il ne pouvait rien leur arriver, le temps était arrêté, en cela, sans doute, ils se sentaient jeunes.

Roemer, Floris et le narrateur ont en commun des malheurs d’amour, des femmes complètement folles qui les ont maltraités et quittés, ou ne demandent qu’à s’y mettre. La théorie de Roemer est qu’elles reviendront, il faut qu’elles se dépêchent avant d’être trop vieilles et moches : «Il niait l’irréversible, et c’était exactement ce que je recherchais à l’époque.» En plein milieu du désastre, de la déréliction partagés, le narrateur cesse de trembler sur ses bases. Les deux frères et leurs parents lui sont une nouvelle famille, il leur doit probablement ce qu’il sera plus tard, ce qu’il est à présent, un mari, un père, alors même que ces parents-là, autre mouvement morbide du livre, survivent à leurs fils. Motel Belmonde raconte un processus de réconciliation ainsi résumé quand le narrateur séjourne chez les parents Duisterwinkel : «Chez soi dans le monde.»

DEVARRIEUX ClairePaul Gellings Motel Belmonde Traduit du néerlandais par l’auteur. Denoël, 202 pp., 18 euros

 

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