Dans la presse 2

LE MONDE DES LIVRES 4 juillet 2014

 

LITTÉRATURE/ CRITIQUES

AQS
‘Paul Gellings que je ne connaissais pas avant que mon éditeur Pierre-Guillaume de Roux me mette ce livre entre les mains est un grand écrivain !’ – Jean-Pierre Poccioni

 

La brume du souvenir se lève sur Amsterdam

Le narrateur du sensible roman de Paul Gellings revient dans la ville de son enfance, en quête de réconciliation

NILS C. AHL
 

Paul Gellings est un auteur qui ne trompe pas son lecteur. Ainsi, les premières pages de ce roman sont-elles empreintes d’un mystère parfumé d’Amsterdam, d’enfance et d’histoire – qui sont tout le roman. Le narrateur est un illustrateur, installé dans l’est des Pays-Bas, hanté par des images vieilles de trente ans. La note est intime, le style sûr, le crayon délicat : «Les rues de mon enfance. Je m’en souviens avec un regret qui m’assaille parfois comme une bouffée de fièvre. Depuis longtemps déjà, mes souvenirs les plus éprouvants sont doublés d’une nostalgie que je m’explique mal.» Paul Gellings compose un texte apparemment sans surprise : son narrateur revient à Amsterdam à l’occasion d’un livre sur lequel il travaille. Il affronte ses souvenirs, retrouve son passé qu’il croyait mort en la personne d’un camarade de classe, Leonard. Rien d’étonnant – et pourtant si : on ne s’ennuie pas.

Traducteur et écrivain en néerlandais et en français, Paul Gellings est lui-même né à Amsterdam, dont le sud, où vécut la famille d’Anne Frank, s’anime sous sa plume. Il a également passé son enfance dans le quartier des rivières (ainsi dénommé «en raison du grand nombre de rivières figurant dans les noms des rues»), dont son narrateur racontera dans un livre illustré les années 1950 et le début des années 1960. En dépit de la précision de certains motifs urbains, la photographie reste cependant à gros grain, floutée par le souvenir et embrumée par la douleur. Le lecteur sent Amsterdam plus qu’il ne le voit. La figure de Leonard, en revanche, et l’école Saint-Théodore sont nettes. Certains personnages secondaires, également : Bouter, l’enseignant sadique, Sylvia, la bonne, ou encore la tante Ilse, qui se souvient de la guerre. Paul Gellings est un peintre humain.

Au coeur du texte, une humiliation générale : celle de l’enfance et du passé. Celle de l’enfant Leonard, de l’histoire douteuse de ses parents pendant la guerre, celle du passé pour un narrateur qui réalise qu’il fuit Amsterdam depuis trente ans. On avance à tâtons, on sait sans savoir vraiment. Quelques scènes sont d’une rare violence, cependant, littérairement remarquables, comme lorsque Bouter, sexuellement excité, s’acharne sur Leonard, «frappe et frappe. Si Leonard est presque terrassé par certains coups, d’autres le remettent d’aplomb ». L’homme et l’enfant dansent horriblement. Ils dansent ensemble – et le narrateur quitte la classe, détourne le regard. Comme il l’a déjà fait. Comme il le fera encore. La relation des deux enfants est pleine d’un embarras un peu honteux. Ce sont des camarades de circonstance : le narrateur est bègue, Leonard empeste. « Mais avais-je jamais décidé d’être son ami ?», se demande-t-il, une génération plus tard et de retour.

Deux mouvements se confondent et s’enchaînent dans Amsterdam quartier sud. De perte et de retrouvailles, liées ensemble par l’écriture, le dessin et le souvenir. Tout l’enjeu du livre en découle. Au-delà d’une intrigue qui fait réapparaître Leonard que l’on croyait mort, le texte ne cesse de réconcilier le passé et le présent qu’il alterne de chapitre en chapitre, la violence et la douceur, l’oubli et le souvenir, la fiction et la réalité. Intelligemment, Paul Gellings dissipe le brouillard peu à peu, sans en avoir l’air. Le grain s’affine, la photo se précise – finalement le point est presque fait. En dépit d’une ou deux longueurs peut-être, le roman s’impose au lecteur et donne corps à ses fantômes. Et même à Anne Frank, d’une certaine manière – dont l’enfance violemment interrompue fait écho. Non, Paul Gellings ne trompe pas son lecteur : Paul Gellings est un excellent écrivain.

 

AMSTERDAM QUARTIER SUD,

de Paul Gellings,

Pierre-Guillaume de Roux, 392 p., 24,90 €.

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