Poèmes

PARIS

Les arbres du Luxembourg étaient antiques,
lustres verts, tachés de rouille. Le soleil
posait une dorure mate sur les façades, ondulait
dans les vitres opposées, prenait
un air majestueux dans le quartier des diplomates:
balustrades, tourelles – soleil.

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De même l’électricité dans l’air qui rappelait
un printemps lointain était datée.
Le ciel limpide avec la rumeur du soir,
pleine lune de surcroît. Le Luxembourg sentait
la vanille, et les nuits refroidissaient déjà,
mais sur des restes de vieille chaleur.
Un été familier se cachait dans chaque rêve.

Odeur de fruits au point du jour. L’autobus
m’emportait en longeant les façades, des siècles entiers
s’écoulaient incessamment, pour ceux qui voulaient
les feuilles reposaient comme des écaillures
de peau malade sur une terrasse.
J’étais ainsi, je voulais bien, mais le soleil
fait halte à la description
d’une carte postale.

NARBONNE

Un chat mort, pattes blanches sales et raidies,
gisait au soleil toutes ces longues journées.
Sous mon balcon l’haleine des platanes
dans le mistral, ma chambre l’ombre
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où j’écrivais mes cartes postales.

Soirées en terrasse avec du pastis, music-hall
et danse sur l’esplanade bordant le canal,
mélange de lotions et d’ails dans la nuit frénétique.
Pas de timbres jusqu’au quatorze juillet;
lors d’une fête ou dans l’attente d’une fête
on n’a pas le mal du pays, on ne songe pas à la mort:
ce chat dormait les yeux pleins de mouches.

Ce que j’ai vu de cette ville n’étaient donc pas
les vestiges romains dans un jardin de palmiers
ni la cathédrale avec les statues à l’oeil fixe,
rues de marbre avec un ruisseau au milieu
menant aux bas quartiers et la mer.

J’étais là et j’écrivais mes cartes postales
dont on n’a pas besoin de voir la photo.

ANGOULÊME
Décor duquel j’étais absent, façades
ne formant nul quartier, pays où l’on est
seulement de passage, impossible
d’habiter ici dans cette vétuste fresque –

maisons menant par des collines ondulantes
à une ville étincelante sous le soleil,
dont j’étais absent, je traversais
plaines et montagnes: livre
ancien mais non écrit.

Ainsi se déroule un voyage, on ne séjourne
que dans les rêves d’un horizon où l’on
n’est pas et n’arrivera jamais. Notes

pourtant prises dans ces parages, fenêtre
ouverte sur un mois d’août jauni.

DANS LE MORVAN
Les hiboux ignorent eux-mêmes
de quoi ils parlent. J’écris
leur langue de chêne en chêne:

mon rêve c’est l’automne, lueur
de feuilles sur les collines, paysage
sans peintre. Je grave mon chant

dans les écorces, un message de temps
en temps: fais attention cette nuit,
on entend ce que nous disons.

ANTOINE ROQUENTIN
Ce soir il ne me viendra aucune visite
sauf un vieil ami, un livre comme une toile
usée sur une cité portuaire. Je le lis
dans sa chambre où chaque objet
est désormais hanté.

Sur son lit avec son pardessus et sa pipe morte.
Rouge éclair le long du mur: le tramway
passe dans la rue, le soir arrive, musique,
un autre temps s’amorce.

Janvier, mars, affiches sur une palissade
qui se lacèrent et se détachent, racontent alors
une histoire neuve, son livre: profonde
et sale la mer de l’existence, les racines
d’un arbre en plein milieu. Il me parle

mais ne me connaît jamais; le tramway aussi
est déjà parti depuis longtemps, et pourtant
nous nous saluons en vieux amis cette nuit.

TERRASSE À BESANÇON
Bruits d’une place bordée de platanes.
Roches et cascade. Après-midi en ville
ou quelque chose qui a toujours existé?

Sans les feuilles étalées sur la terrasse
je croirais à un autre temps
où ne serait rien qui ne survive. La fuite

des saisons enfin anéantie
dans un tendre clapotis et le grattement
d’une chaise sous les arbres.

LAMBADA MONTPARNASSE
Dans cette gare le coeur émerge
d’une flûte indienne et parle
du jour où les retrouvailles
seront fêtées.

Ainsi le voyage dans la ville
est interrompu par quelque chose à quoi
je ne tiens pas à penser. J’interromps

moi-même le voyage, car mon histoire
m’invite à danser, me caresse
les reins, me gonfle le ventre
et me monte au thorax
où jaillissent le mots.

Combien coûte ce moment? Cinquante
centimes et le reste du matin.

UNE DERNIÈRE FOIS NERVAL
Parfois une vie commune dure
toute une vie. Une dernière fois alors,
suis incorrigible – tout en ayant toujours
beaucoup lu, tous ces livres par terre:

les filles du feu, Sylvie et Adrienne,
il me se semblait bien les connaître
depuis tout petit. Ma maison pleine
d’échos prometteurs: chaque parole

un bijou, oiseaux devant les fenêtres
ouvertes sur un été qui devait nous
emporter aux jardins perdus.

Seulement les livres à mes pieds
ton haut talon les a récrits
durant la nuit.

PAVANE
Corps lentement endormi sur la berge d’un étang, chaleur
qui l’envahit se fondant dans une après-midi étale, forme
d’un cygne entre des nymphéas vastes comme des palettes,
longeant un voile de rhododendrons – que voit-on donc

dans ces étangs profonds où viennent s’abreuver des arbres?
Ourlés de toiles d’araignées les bords, pétales couronnés
de blanc et impassible le cygne: le tableau complet –
rythme indolent de saisons et de visages.

Mais tout est dans la flûte. Pour un enfant perdu
pendant une canicule endeuillée, beaucoup trop
longue pour jamais prendre fin – et pourtant

on se réveille au crépuscule, quand le cygne a déj�
disparu dans son destin, pour jeter un dernier regard
sur les rides empourprées de l’eau.

MEURSAULT
Chez lui l’amitié se fait attendre longtemps.
Bouillant le sable, lancinantes les vagues de
la mer, sa tête une pompe sans idée, ses jambes
alourdies par le poids d’un vin bu le jour.

Je suis le voisin endeuillé par son chien,
le maquereau punisseur et la petite folle
qui s’installe à la même table et calcule;
notre union repose sur un laxisme illimité.

Mais ici sur la plage je ne suis rien. Rien
que le soleil qui se vomit sur lui, le rideau
de sueur qui voile ses yeux, peut-être

aussi le glaive qui sort de la dague séductrice.
On voit combien il est inutile que je l’avertisse
contre la porte invisible de son sort.

PEDRO MCEVOY

À Patrick Modiano

Ami dans une rue de boutiques obscures.
Le peu qui reste de notre passage fuyant,
on le voit lorsque sa mémoire aspirée sous
vide s’emplit de nouveau du parfum de sa

compagne trahie, disparue dans la neige.
Le peu qu’une boîte à biscuits nous apporte –
plus de doutes que de photos, trèfle à quatre feuilles
sans nulle piste à même d’éclairer ses recherches.

Seuls des écrits jaunis font revivre les journées
anciennes. Tombée du soir transformée en velours
antique écarlate, un dédale où le fil d’Ariane est

sans cesse déroulé, le téléphone rétabli, alors que
se réitère tout le temps le message suivant:
« Pedro, c’est toi? – Pedro, évoque-moi! »

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