Battements de cœur d’une énigme

Dans la vraie littérature on ne distingue guère entre poésie et prose, toute bonne évocation étant simultanément lyrique et narrative. Il en va de même de la distinction entre les livres pour la jeunesse et ceux écrits pour les adultes s’il en est. Répondant ainsi à ces critères de qualité, L’énigme d’Isolabona de Maroushka Dobelé est un ouvrage admirable, à la fois poétique et romanesque, à la fois destiné à une adolescence mûre et à un public sans âge.

Le lecteur y  retrouvera avec un émerveillement croissant les gentils enfants Bienaymé – Lou, Léa, Ludovic – dont il avait déjà suivi les aventures fulgurantes dans Le mystère du petit manteau bleu (2018), situé à Châtel-Censoir en Bourgogne. Cette fois-ci l’action – et Dieu sait si ce livre ne manque pas de dynamisme ! – se déroule, imprégnée d’une même magie à Isolabona, pittoresque village de montagne de Ligurie, que la romancière évoque avec une précision et une efficacité d’artiste-peintre :

« L’heure entre chien et loup était passée lorsqu’ils franchirent les remparts d’Isolabona. Au-delà, les vieilles maisons se serraient les unes contre les autres en un dédale de ruelles et de passages. Des torches éclairaient une petite place où des stalactites de glace ornaient une fontaine. Des échoppes restaient ouvertes malgré l’heure tardive. »

Est-il besoin de décortiquer ce tableau si vivant (qui n’est pas un cas isolé !) au moyen d’une savante explication de texte ou suffit-il d’en priser tout simplement la beauté discrète ? Chaque mot est à sa place et il n’y a pas un mot de trop. L’économie du langage fait ici sa richesse. Au surplus l’énigme annoncée par le titre s’y fait déjà sentir, et nous, lecteurs, sommes définitivement conquis. Suivent alors des tribulations pour le moins captivantes au fil d’une succession de moments aussi dangereux qu’idylliques, aussi envoûtants que crédibles, le tout organisé autour d’une maison plutôt insolite. À l’évidence, celle-ci abrite une nouvelle réalité, une autre dimension spatio-temporelle, dont le dédale évoqué plus haut fut d’entrée de jeu le signe prémonitoire. Nous touchons là au cœur du talent de Maroushka Dobelé qui, dès Le mystère du petit manteau bleu, a fait preuve d’une étonnante capacité à suggérer l’existence de mondes parallèles, de chants venant d’un ailleurs invisible, de chambres fantômes, de chimères :

« Ludovic se pinça très fort, oui, il était bien vivant. Ce jeune homme était-il la voix de son cauchemar, celle qui lui avait donné ce rendez-vous singulier ? Avec une terrible intensité, l’homme le regarda et des larmes glissèrent le long de ses joues. Alors, une vague de regret submergea Ludovic, les murs devinrent transparents et la vision se dissipa dans une nuée blanche. Se sentant défaillir, Ludovic se laissa tomber sur les marches de leur maison mystérieuse. »

Ludovic aurait-il trouvé, à son insu, la clef de l’énigme que l’on sent palpiter tout au long du récit ou s’agit-il du prolongement du cauchemar qu’il a eu antérieurement à ce « rendez-vous singulier » ? Autant de questions qui nous tiennent en haleine jusqu’au dénouement ingénieux de l’intrigue. C’est dire que ce jeu à partir d’une énigme de fait très réelle, présenté en outre dans un style mélodieux et précis, maintient notre curiosité jusqu’à la dernière page, quitte à ce que nous recommencions tout de suite notre lecture. Il est en effet tentant de revivre, en compagnie des Bienaymé et de leurs amis italiens Paolina et son frère Gianni, cet extraordinaire voyage à travers l’espace et le temps. Petit village, grand livre. À lire et à relire, donc.

PG

Maroushka Dobelé : L’énigme d’Isolabona
Editions du Volcan, € 16,50

 

    

      

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